Genre: Young Adult (dès 12 ans)
Nombre de pages: 439
Date de sortie: 01/05/2013
Prix support papier: 15€20
Prix format numérique: /
ISBN: 978-2-7459-5772-6
Editions: Milan - Macadam
Synopsis:
Londres, 1895
Juliette Moreau n'est plus rien. Sa vie a basculé le jour où son père, le plus éminent chirurgien de Londres, a été accusé d'ignobles pratiques médicales. Est-il mort ? En fuite ? Nul ne le sait. Une chose est sure : Juliette doit maintenant se débrouiller seule pour survivre. Et tenter de répondre à cette terrible question qui l'obsède : qui est vraiment mon père ? Un fou ou un génie ?
Un thriller noir et gothique a l'intrigue haletante !
Mon avis :
J'ai lu ce livre dans le cadre d'une lecture commune avec Steph du blog « Une souris et des livres », n'hésitez pas à découvrir son blog et sa chronique:
Je crois que c'est le livre le plus difficile que j'ai eu à chroniquer depuis l'ouverture de mon blog.
Je n'ai pas particulièrement adoré ce roman pourtant je ne me suis pas ennuyée, j'ai bien aimé ce que j'ai lu et en même temps, je n'ai pas eu ce petit quelque chose qui fait qu'à la fin de ma lecture, j'ai envie de vous crier haut et fort que ce livre vaut le coup d'être lu.
Déjà, je suis allé sur le site de la maison d'Édition Milan et sur la fiche du livre, il y a marqué que c'est un livre proposé à la lecture à partir de 12 ans.
Comme vous le voyez, moi, je ne le mets pas dans ma section « pour les plus jeunes (- de 13 ans) » parce que je ne suis pas du tout convaincu que ce livre soit destiné à de si jeunes lecteurs. À partir de 14 ans serait, à mon avis, plus crédible.
L'histoire :
Juliette est une jeune Londonienne. Sa maman est décédée et son père est une énigme... Elle ne sait pas s'il est vivant ou non mais surtout si les rumeurs qu'elle entend à son sujet sont fondées. Son père à la réputation d'être fou et dangereux, mais Juliette a besoin d'en avoir la certitude.
La vie a fait qu'elle va recroiser son chemin, puisqu'elle sera amenée à fuir à son tour Londres et va être emmenée sur une île.
Sur cette île, elle découvrira toute la vérité sur la véritable identité de son père, mais aussi sur des choses interdites et totalement incroyables...
Les personnages :
Juliette est une jeune femme de caractère, c'est une héroïne très agréable à suivre parce qu'elle est très attachante même si parfois son côté naïf peut être un petit peu agaçant.
Elle est amoureuse de Montgomery, son ami d'enfance, qu'elle retrouvera à Londres, par hasard, d'ailleurs, c'est lui qui va emmener Juliette sur l’île.
Mais dans ce voyage, ils feront la connaissance d'un naufragé, Edward, qui lui aussi sera sous le charme de Juliette. Edward est gentil et touchant mais surtout extrêmement surprenant !
Les personnages sont crédibles, ils ont tous une place importante dans ce roman.
L'intrigue :
Wahou ! Qu'elle est compliquée !
C'est ça le plus difficile dans ce roman, c'est qu'il faut être très concentré et attentif durant sa lecture . Chaque détail compte et ce livre est plein de rebondissements et de surprises, donc il faut bien suivre pour ne pas passer à côté de quelque chose et perdre le fil de l'histoire.
L'intrigue est bien trouvée et plutôt surprenante. C'est la première fois que je lis un livre avec ce type de sujet (le père de Juliette étant chirurgien, l'intrigue tourne autour de la médecine et de ses curieuses expériences...).
L'auteur :
J'ai aimé la plume de Megan Shepherd. Je trouve qu'elle a beaucoup d'imagination et j'ai hâte de savoir comment elle va tourner son deuxième tome. J'avoue que je suis dans le flou total, de plus, l'histoire pourrait presque se terminer ainsi à la fin du premier opus, donc à voir ce qu'elle nous réserve...
En tout cas, j'ai beaucoup aimé son style d'écriture !
Mon bilan pour « L'étrange cas de Juliette M. » :
Je suis dans le mitigé / positif .
J'ai mis la moitié du roman avant de comprendre ou l'auteur voulait m'emmener et une fois ce cap passé, j'ai apprécié ce que je lisais et j'ai dévoré la deuxième partie.
Avec un peu de recul, je peux dire que c'est un livre plaisant mais destiné aux adultes ou ados à partir de 14 ans.
À lire si vous aimez être surpris et lire des livres hors du commun.
Lily
Extrait (1er Chapitre):
Les sous-sols de l’école de recherche médicale de King’s College étaient lugubres, même en plein jour. De nuit, il y régnait l’obscurité d’une tombe. Les rats arpentaient les corridors suintants de salpêtre. Un courant d’air froid parcourait les salles aveugles et préservait les spécimens de la décomposition. Malgré l’épaisseur de ma robe, je ne sentais plus mes membres. Tard dans la nuit, bien après le départ des derniers étudiants, déjà blottis dans leur
lit, le raclement de ma brosse montait dans l’amphithéâtre opératoire avant de se perdre dans le dédale des couloirs, jusque dans les réserves, où s’entassaient des cauchemars en bocaux. En tout cas, les cauchemars des autres. Car la chair en putréfaction et les lames des scalpels ne m’effrayaient pas. Après tout, j’étais la digne fille de mon père. Mes cauchemars à moi étaient peuplés de choses plus sombres. J’interrompis mon mouvement, l’écho sec du frottement disparut. Je tendis l’oreille, guettant ce bruit de pas saccadé, importun. Le docteur Hastings s’était attardé. Je grattai le sol de plus belle, mais le sang s’incruste si insidieusement dans les dalles qu’il est impossible d’en venir à bout, même après des heures d’acharnement. Les pas s’arrêtèrent juste derrière moi.
– Ah, Juliette. Est-ce que tout va bien ?
Il s’était penché sur moi. Je sentais son haleine chaude dans mon cou.
Ne lève pas la tête, me répétai-je tout en frottant les rectangles de ciment veinés de rouge avec une telle ardeur que je m’écorchais les doigts.
– Bien, docteur.
J’écourtai, espérant qu’il poursuivrait son chemin, mais il n’en fit rien. Dans le silence, seules cliquetaient les impulsions électriques des ampoules. Sur le bout en argent lustré de ses souliers, j’aperçus le reflet de sa calvitie naissante, de ses yeux délavés qui ne me quittaient pas. Hastings n’était pas l’unique professeur à travailler tard, ni à promener son regard sur ma silhouette courbée. Mais les odeurs de détergent et produits chimiques imprégnées dans mes vêtements rebutaient rapidement les autres. Hastings, lui, semblait s’en enivrer. Ses doigts exsangues emprisonnèrent mon poignet. La brosse m’échappa. Et il me fit me relever.
– Tu saignes.
– C’est le froid. Les gerçures.
Je tentai de retirer ma main, mais il s’entêta.
– Ce n’est rien, insistai-je.
Il passa en revue la manche de ma robe de mousseline, le tablier taché, puis l’ourlet rongé. Chez mon père, même les souillons ne l’auraient pas portée. Mais tout cela remontait à bien des années, à l’époque de la grande demeure de
Belgrave Square, quand mes armoires débordaient de fourrures, de soieries, de dentelles fines que je ne portais jamais plus d’une fois ou deux avant que ma mère ne les renouvelle.
C’était avant le scandale.
Depuis, les hommes ne prêtaient guère d’attention à mes vêtements. Une jeune fille tombée dans le dénuement intéresse moins par ses jupons élimés que par ce qu’ils dissimulent et le docteur Hastings était comme tous les autres. Il observa mon visage. Mon amie Lucy prétendait que je ressemblais à la vedette du Brixton, une Française aux pommettes saillantes et au teint d’ivoire, que ses cheveux d’ébène relevés en chignon accentuaient encore. Je me contentais d’une simple natte, dont quelques mèches rebelles parvenaient toujours à s’échapper. Le docteur Hastings les raccrocha derrière mon oreille, et lorsque sa peau râpeuse
effleura ma tempe, je dus lutter pour ne pas grimacer. Si je restais de marbre, il finirait peut-être par se lasser. Mais ma main tremblante me trahit.
Un sourire ténu se dessina sur ses lèvres. Sa langue pointa entre ses dents.
Au même instant, le grincement plaintif des gonds le surprit. Mon cœur s’emballa, car j’entrevis l’occasion de m’éclipser. La chevelure grisonnante de Mme Bell, en charge des femmes de service, apparut dans l’entrebâillement. Sa moue retrouva son sérieux désapprobateur et ses petits yeux noirs allaient et venaient entre le professeur et moi. Jamais je n’avais été aussi heureuse d’apercevoir son visage ridé.
– Juliette, veux-tu filer ? aboya-t-elle. Mary a encore brisé une lampe et une seconde paire de bras ne sera pas de trop.
Le soulagement me parcourut comme un frisson. L’espace d’un instant, je croisai le regard de Mme Bell dans le couloir et compris ce qu’il signifiait. Elle ne pourrait pas éternellement me protéger. Un jour, elle ne serait peut-être plus là pour intervenir. Une fois libérée de cette prison de ténèbres, je remontai précipitamment l’avenue en direction de Covent Garden, sous l’œil pesant de la lune, suspendu dans le ciel de Londres. Je m’arrêtai pour laisser passer un fiacre, sentant le vent cingler mes mollets par les trous de mes bas de laine. De l’autre côté de la rue, une ombre s’allongea sous les larges marches du kiosque à musique.
– Espèce de petite vipère, maugréa Lucy.
Elle s’avança dans la lumière, resserrant son col en fourrure autour de son cou.
Son nez, ses joues rougissaient sous un fin voile de poudre de riz.
– Voilà une heure que je t’attends!
– Excuse-moi, dis-je en me penchant pour l’embrasser.
Ses parents auraient été horrifiés s’ils avaient appris notre entrevue. Notre amitié leur convenait à l’époque où mon père était le plus éminent chirurgien de Londres, mais après sa disgrâce, ils avaient interdit à Lucy de me revoir.
Heureusement pour moi, Lucy n’aimait rien tant que leur désobéir.
– On m’a fait travailler tard pour rouvrir des salles laissées à l’abandon. Je vais mettre des semaines à me débarrasser de ces toiles d’araignées! gémis-je en faisant mine d’ôter de mes cheveux des choses peu ragoûtantes.
Ensemble, nous éclatâmes de rire.
– Franchement, je me demande comment tu peux supporter ça. Entre les rats, les cancrelats et sait quoi d’autre qui traîne dans ces caves... Allez viens, me dit-elle, regard bleu brillant de malice. Les garçons nous attendent. Elle prit ma main pour m’entraîner dans une course effrénée vers une maison de briques, avec un escalier en pierre. Lucy frappa deux fois au heurtoir en forme de tête de cheval.
La porte s’ouvrit sur un jeune homme élégamment vêtu aux cheveux bruns. Je reconnus chez lui la peau laiteuse, les grands yeux de Lucy et devinai qu’il s’agissait du cousin dont elle m’avait parlé. Je détaillai timidement son front haut, la courbe de ses oreilles, un rien trop décollées. Plutôt séduisant, pensai-je. Il observa sans un mot mon manteau qui avait connu des jours meilleurs, ses coudes râpés, sa ganse de satin effilochée. Il faisait peine à voir à côté de celui, impeccablement coupé, de Lucy. À sa décharge, son large sourire ne faiblit pas. Lucy avait dû l’avertir qu’elle amènerait une gamine des rues.
– Adam, laisse-nous entrer! Je ne sens plus mes pieds.
Je me glissai derrière elle. Elle se débarrassa de ses affaires et reprit :
– Voici l’amie dont je t’ai parlé. Sans le sou, aucun talent culinaire, mais, bon sang, regarde moi ce minois.
Mes joues durent rosir et je lançai un regard venimeux à Lucy. Adam se contenta de sourire.
– Ne t’en fais pas, me dit-il, la délicatesse n’est pas vraiment le fort de Lucy. J’ai l’habitude et j’ai entendu bien pire. D’ailleurs... elle n’a pas tort, en tout cas sur le dernier point. Je redressai la tête, redoutant son œil moqueur. Mais il paraissait sincère, ce qui me mortifia davantage.
– Alors, où sont-ils ? reprit Lucy sans nous prêter attention.
Un rire gras résonna au fond du couloir et, l’air ravi, Lucy s’y dirigea. Je pensais qu’Adam la suivrait, mais il m’observait. Il m’adressa un nouveau sourire. Désarçonnée, j’hésitai une seconde de trop. Je n’étais pas habituée à tout cela. Pas de clin d’œil grivois, pas de regard vers ma poitrine. J’aurais sans doute dû dire une politesse, mais je ne pus que pousser un bref soupir, comme un secret qu’il me fallait garder pour moi. Je savais comment réagir à
la cruauté, mais pas à la gentillesse.
– Puis-je prendre ton manteau ? demanda-t-il alors. Sans m’en rendre compte, j’avais serré mes bras contre mon corps, alors même qu’une douce chaleur régnait dans la maison. Je m’obligeai à me détendre et me débarrassai du vêtement.
– Merci, soufflai-je dans un murmure à peine audible.
Nous suivîmes Lucy jusqu’au salon. Quelques jeunes hommes grands et maigres – des étudiants en médecine, appris-je – étaient rassemblés sur les sofas en cuir, sirotant un liquide ambré. Les examens s’achevaient à peine et ils avaient manifestement décidé de fêter l’évènement. C’était tout à fait le genre de Lucy : infiltrer un cercle de garçons, boire du gin, jouer aux cartes et se délecter de leur air choqué. Il lui suffisait de prétendre rendre visite à son cousin, bien que nous soyons loin du sévère boudoir de la vieille tante, où les rencontres étaient censées avoir lieu.
Adam s’avança pour les rejoindre et éclata de rire à une remarque d’un de ses camarades. Je feignis de me trouver à mon aise parmi ces inconnus, bien trop consciente de mes haillons et de mes mains gercées. Souris, m’aurait murmuré ma mère. Autrefois, tu avais ta place au milieu de ces gens. Il me fallait tout d’abord déterminer leur degré d’alcoolisation, l’agencement de la pièce, puis repérer ceux qui seraient les moins susceptibles de se moquer de moi. Analyser la situation, toujours: je ne me sentais jamais à l’aise à moins d’avoir toutes les données d’un contexte à ma disposition.
Mère, elle, n’était jamais intimidée en société : elle conversait sans difficulté, passant du sermon du pasteur à la hausse du prix du café. Mais en matière de mondanités, j’avais hérité des dispositions taciturnes de mon père. J’étais maladroite. Réservée. Plus encline à observer la foule comme l’objet d’une expérience qu’à me joindre à elle. Lucy s’était déjà installée sur le canapé, entre un étudiant blond et un autre, au visage aussi écarlate qu’une pomme.
Elle souleva entre ses doigts fins une carafe de rhum à moitié vide. Voyant que je restais en retrait, près de la porte, elle se releva pour m’entraîner dans la pièce.
– Plus vite tu trouveras un mari, grommela-t-elle d’un ton taquin, plus vite tu cesseras de récurer les sols. Alors, choisisen un et dis-lui quelque chose d’adorable. Embarrassée, je volai un regard à Adam.
– Lucy, ce genre de garçon n’épouse pas les filles comme moi.
– Tu n’as pas la moindre idée de ce que cherchent les hommes. Ils ne s’intéressent pas aux oies blanches penchées sur leur ouvrage du matin au soir.
– Oui, mais je suis une servante.
Elle eut un geste évasif, comme pour ramener mes dernières années passées à genoux à une vaste plaisanterie, et pointa un doigt contre mes côtes.
– Tu viens d’un milieu riche. Élevé. Alors, montre-le un peu.
Le flacon de rhum arriva juste sous mon nez. J’aurais voulu lui faire remarquer que boire de l’alcool à la bouteille n’était pas une preuve de bonne éducation, mais elle aurait continué
à me sermonner.
J’observai Adam. Je n’avais jamais été très douée pour deviner les pensées des autres. J’en étais réduite à scruter leurs réactions. Dans le cas présent, il n’y avait guère besoin de perspicacité pour deviner que je n’étais pas ce qu’ils cherchaient, quoi qu’en dise Lucy.
Je pourrais peut-être faire semblant... Timidement, je portai la bouteille à mes lèvres.
Le blond attira Lucy sur le canapé.
– Mademoiselle Radcliffe, vous devez nous départager.
Cecil prétend que le corps humain est constitué de deux cent dix os. Moi, j’affirme qu’il en contient deux cent onze. Lucy fit cligner ses longs cils.
– Eh bien... j’avoue que je n’ai jamais compté...
Avec un soupir, je m’adossai au chambranle.
Le garçon la prit par le menton.
– Si vous vouliez bien vous tenir quelques instants immobile, je vais compter et nous aurons la réponse.
Il pressa un doigt sur son front.
– Un.
Je levai les yeux au ciel en voyant l’index descendre jusqu’à ses épaules.
– Deux, trois.
Il suivit le contour de sa clavicule.
– Quatre.
Puis il s’aventura plus bas, jusqu’à la peau si fine qui recouvrait le plexus.
– Cinq, susurra-t-il, tellement ivre que je sentais d’ici son
haleine chargée.
Je me raclai la gorge. Les autres regardaient, captivés, ce doigt explorer les profondeurs de son décolleté. Autant en finir tout de suite et passer directement à la poitrine ! Lucy n’arrangeait rien en gloussant bruyamment. D’un geste exaspéré, j’écartais la main blanche du garçon.
Toute la pièce retint son souffle.
– Chérie, attends ton tour, me lança-t-il, déclenchant un éclat de rire général.
Là-dessus, il se tourna une nouvelle fois vers Lucy, redressant son index ridicule.
– Deux cent six, coupai-je alors.
La remarque les interpella. Lucy se laissa retomber sur les coussins avec un soupir agacé.
– Pardon ?
– Deux cent six, répétai-je, les joues en feu. On compte deux cent six os dans le corps humain. N’importe quel étudiant en médecine le sait. Lucy secoua la tête. Elle me trouvait sans doute incorrigible, mais l’audace de mon intervention lui arracha un sourire. Le blond, quant à lui, resta pétrifié.
– Si tu ne me crois pas, dis-moi combien il y a d’os dans une main, poursuivis-je avant qu’il ait retrouvé sa voix. Les garçons ne parurent pas s’offusquer de ma remarque. Au contraire, j’avais attisé leur curiosité. Peut-être étais-je le genre de fille qui les intéressait, après tout.
Lucy se contenta de lever la bouteille dans ma direction. Le beau regard émeraude d’Adam soutint le mien.
– Je relève le défi, déclara-t-il.
Lucy bondit pour passer son bras autour de mes épaules.
– Excellent ! Quel sera l’enjeu ? À moins d’un baiser, pas question que Juliette mette sa réputation en péril. Je piquai un fard, qui ne fit qu’amuser Adam.
– Si je trouve la bonne réponse, j’exige un baiser. Si je me trompe...
– Si tu te trompes, repris-je, soudain plus téméraire, en arrachant le rhum des mains de Lucy pour me donner du courage, tu viendras me rendre visite coiffé d’une capeline. Il contourna le sofa et saisit la bouteille. Il avançait d’un pas sûr, victorieux. Il déposa le flacon sur une console et, d’un geste indolent, s’empara de ma main pour suivre du doigt les os fragiles. J’entrouvris les lèvres, luttant pour me dominer et ne pas aussitôt retirer mon bras. Ce n’est pas le docteur Hastings, me dis-je. Et Adam ne s’en prenait pas à mon décolleté. Cette caresse était bien innocente.
– Vingt-quatre, annonça-t-il.
Un sentiment de triomphe enfla en moi comme une vague.
– Faux ! Vingt-sept.
Lucy me pinça et j’accrochai un sourire à mon visage. Tout cela n’était qu’un jeu, c’était amusant. Le regard d’Adam s’alluma, diabolique.
– Et comment une fille peut-elle savoir ce genre de choses ?
– Ce n’est pas le sexe d’une personne qui détermine la justesse de ses connaissances, répliquai-je, la tête haute. Et... j’ai raison.
– Les femmes n’étudient pas les sciences, poursuivit-il, l’air moqueur.
Mon assurance s’effondrait. Si la main humaine n’avait pas de secret pour moi, c’était parce que j’étais la fille de mon père. Alors que j’étais enfant, il avait entrepris d’instruire l’un de nos jeunes domestiques, Montgomery, pour mieux contredire ceux qui prétendaient que les classes inférieures étaient incapables d’apprendre. Il considérait néanmoins la gent féminine comme inepte, et c’était cachée dans le placard du laboratoire que j’épiais les leçons, avec la complicité de Montgomery qui me prêtait ses livres. Mais comment l’expliquer à ces garçons ? Tous les étudiants en médecine connaissaient le nom de Moreau. Ils se rappelleraient le scandale...
– Juliette en sait plus long que vous tous réunis, s’indigna
Lucy, volant à mon secours. Elle travaille dans l’aile médicale de l’université. Elle a probablement passé plus de temps en compagnie de cadavres que vous, petites âmes sensibles que vous êtes.J’aurais préféré qu’elle se taise. Être une domestique étai une chose. Nettoyer les laboratoires après ces charcutage sanglants en était une autre. Mais Adam haussa un sourcil.
– Vraiment ? Fort bien, mademoiselle, je te propose un autre défi.
Ses yeux annonçaient un enjeu bien plus dangereux qu’un baiser.
– Il se trouve que j’ai en ma possession l’une des clés de l’école de médecine et tu connais sans doute ses couloirs par cœur. Retrouvons l’un de tes squelettes et nous pourrons faire le décompte nous-mêmes.
Les regards entendus fusèrent comme des étincelles. Les garçons échangèrent quelques coups de coude excités, à la perspective d’une expédition nocturne dans les entrailles de
l’aile médicale.
Lucy renchérit d’un haussement d’épaules mutin :
– Pourquoi pas!
J’étais moins enthousiaste. Je passais déjà le plus clair de mon temps dans ces corridors humides. Là-bas, les ténèbres s’insinuaient sous la peau et glaçaient les os. Elles hantaient ces couloirs, tout comme l’ombre de mon père. Son parfum y régnait encore, mélange étrange de formol et d’odeur des confitures d’abricots qu’il aimait tant. J’avais espéré me changer les idées, le temps de cette soirée, sinon dans les bras d’un futur époux, du moins par quelques moments divertissants.
Je secouai la tête.
Mais les garçons étaient décidés et il serait impossible de les faire changer d’avis.
– Essaierais-tu d’échapper à ce baiser ? railla Adam.
Je ne dis rien. Mon amusement s’était évaporé à la seule évocation de l’université et de ses sous-sols. Mais puisque Lucy n’avait pas d’objection à inspecter un squelette, pourquoi en aurais-je ? Je les débarrassais chaque jour de leurs toiles d’araignées. Alors, pourquoi refuser ?
Lucy se pencha à mon oreille.
– Espèce d’idiote ! Adam cherche à t’impressionner. Il te suffira de t’évanouir dans ses bras à la vue du squelette. Les hommes adorent ça.
Mon malaise s’accentua. C’était donc cela que faisaient les filles ordinaires ? Feindre la faiblesse ? Ma mère, chantre de la bonne conduite, n’aurait jamais accepté un défi aussi scandaleux que de s’introduire dans des couloirs interdits. Mon père, lui, n’aurait pas hésité. Il aurait même entraîné les autres.
Au diable... pensai-je, reprenant la bouteille de rhum que je vidai jusqu’à la dernière goutte, sous les encouragements des garçons. Mon estomac se souleva – non sous l’effet de l’alcool, mais à la perspective des lieux que nous nous apprêtions à visiter. Je n’en tins pas compte.
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